L'Illustré 14/08
2008
Révérien Rurangwa a assez attendu
Madame,
Vous et moi sommes né la même année, en pleine guerre froide, lorsque la Suisse a accueilli à bras ouvert des dizaines de milliers de Hongrois fuyant la sanglante répression soviétique. Les frontières étaient alors ouvertes aux victimes.
52 ans plus tard, les temps ont changé: Révérien Rurangwa rescapé – on peut dire miraculé – du génocide rwandais attend toujours d'avoir le droit de s'établir définitivement et sans conditions chez nous. Sa déchirante destinée est connue. Il ne veut en aucun cas retrouver ses tortionnaires dans son pays.
Mais l'Office fédéral des migrations (OdM), qui prend ses ordres chez vous, se retranche derrière son rempart de lois et directives frileuses pour tuer une seconde fois Révérien en lui refusant le droit de résider en Suisse. Après les machettes, le coup de massue administratif. Mais Révérien a le mauvais goût de vivre. Et de demander toujours la même chose: pouvoir rester ici.
Le même jour qu'une manifestation de soutien à Révérien a réuni à la Vue des Alpes amis, autorités et sympathisants·es, l'OdM a fait son bilan annuel. Il est fier de son bilan, l'OdM, largement satisfait. Mais il a un sale relent de fascisme du XX e siècle, le bilan de l'OdM. Incapable d'aucune souplesse, d'aucun bon sens, arc-bouté sur sa peur de l'autre, l'OdM.
Madame, faudra-t-il bloquer des tunnels, arrêter des trains pour que vous entendiez les gens qui soutiennent Révérien? Faudra-t-il qu'il triche, se fasse banquier ou footballeur pour obtenir un permis de résidence?
Soyons sérieux, Madame la conseillère fédérale: toute loi est passible d'interprétation. Le cas de Révérien ne posera en rien préjudice, ne créera aucun précédent: il n'y a pas de hordes d'individus laissés pour mort sur un charnier qui attendent d'envahir notre pays en se référant au sort de Révérien.
Alors qu'attendez-vous, Madame, pour octroyer comme l'a demandé très officiellement le canton de Neuchâtel, un permis à Révérien? Nul doute qu'aux yeux de certains racistes, Révérien n'est rien. Il a un nom impossible à prononcer, ça gêne. Révérien a maigri? Qu'il crève, on lui trouvera alors peut-être un coin de cimetière. Parce qu'à ce moment-là, il se taira. Car il a un toupet terrible, cet homme: ses tortionnaires lui ont coupé une main, mais pas la langue. Qu'il ne cesse d'agiter pour réclamer justice.
Madame. La justice en ce pays, c'est vous.